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Maître Aurélie Testu

Marque de renommée et opposition

La justification insuffisante de la renommée de la marque antérieure : la nécessité de démontrer un lien entre les marques concernées

 L’article L. 711-3 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que :

« Ne peut être valablement enregistrée et, si elle est enregistrée, est susceptible d'être déclarée nulle une marque portant atteinte à des droits antérieurs ayant effet en France, notamment : (…) Une marque antérieure enregistrée ou une demande de marque sous réserve de son enregistrement ultérieur, jouissant d'une renommée en France ou, dans le cas d'une marque de l'Union européenne, d'une renommée dans l'Union, lorsque la marque postérieure est identique ou similaire à la marque antérieure, que les produits ou les services qu'elle désigne soient ou non identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est enregistrée ou demandée et lorsque l'usage de cette marque postérieure sans juste motif tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, ou qu'il leur porterait préjudice ».

Une marque jouissant d'une renommée permet donc de contourner le principe de spécialité du droit des marques et de s'opposer à l'enregistrement d'une marque désignant des produits et services non similaires à ceux désignés par la marque antérieure. 

I- La nécessité d’une appréciation globale du lien existant entre les marques en conflit

En application de cet article L.711-3, lorsqu’une opposition est fondée sur la renommée d’une marque antérieure, il convient de démontrer l’existence d’une similitude entre ladite marque antérieure et la marque dont l’enregistrement est demandé.

Il est ainsi nécessaire de démontrer que la similitude entre les signes est suffisamment importante pour que le public pertinent effectue un rapprochement entre lesdites marques, c’est-à-dire établisse un lien entre celles-ci.

TUE, 28 février 2024 n°T-184/23, Puma

Dans ce cadre, il est constant que l’existence d’un lien entre les marques en conflit doit être appréciée globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce.

CJCE, 23 octobre 2003, C-408/01, Adidas Salomon c/ Fitnessworld trading

Pour constater une atteinte à la renommée d’une marque, il convient donc de « se livrer à une appréciation globale de l'existence du lien qui pouvait être fait dans l'esprit du public entre le signe incriminé et la marque renommée antérieure prenant en compte l'intensité de la renommée de ladite marque, le degré de son caractère distinctif, intrinsèque ou acquis par l'usage, ainsi que la similitude, sinon l'identité, des produits en cause ».

Cass. Com., 31 janvier 2018, n°16-10.761

 

II- La question de la similitude des produits et services en cause

Parmi les facteurs à prendre en compte figurent donc le degré de similitude entre les marques en conflit, la nature des produits ou des services couverts par ces marques, y compris le degré de proximité ou de dissemblance de ces produits ou ces services, le public concerné, l’intensité de la renommée de la marque antérieure, le degré de caractère distinctif de la marque antérieure, ainsi que l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public pertinent.

CJCE  27 novembre 2008, C‑252/07, Intel Corporation

Dans ce cadre, il est constant que la nature et le degré de proximité des produits ou des services concernés constituent des facteurs pertinents afin d’apprécier l’existence d’un lien entre ces marques.

TUE, 28 février 2024 n°T-184/23, Puma

Or, il ressort de la jurisprudence que le seul fait que la marque antérieure jouisse d’une grande renommée pour certaines catégories spécifiques de produits ou de services n’implique pas nécessairement l’existence d’un lien entre les marques en conflit.

CJCE  27 novembre 2008, C‑252/07, Intel Corporation

En conséquence, il a pu être souligné que « le lien susceptible d’être établi dans l’esprit du public pertinent avec une marque jouissant d’une renommée exceptionnelle ne saurait être présumé ». Une différence radicale entre les produits et services concernés conduit à ce que « la marque demandée serait incapable d’évoquer la marque antérieure dans l’esprit du public pertinent, en dépit de sa renommée élevée ».

TUE, 28 février 2024 n°T-184/23, Puma

 

III- L’enregistrement d’une marque similaire à une marque antérieure de renommée, pour désigner des produits et services radicalement différents

A titre d’exemple, malgré une opposition de la société HERMES INTERNATIONAL fondée sur la renommée de ses marques antérieures « HERMÈS », la marque « HERMÈS CONSULTING » n°20/4 666 470 a pu être enregistrée, pour désigner les « services de crèches d'enfants ; services de maisons de retraite pour personnes âgées » :

La société HERMES INTERNATIONAL « n’a pas justifié en quoi il pourrait exister un lien dans l’esprit du public entre les signes au regard des « services de crèches d'enfants ; services de maisons de retraite pour personnes âgées » de la demande d'enregistrement et les produits de la marque antérieure pour lesquels elle dispose d’une renommée, ces produits et services étant très éloignés les uns des autres.

En effet, l'établissement d'un tel lien exige que les publics concernés par chacun des produits et services visés par les marques en conflit soient les mêmes ou se chevauchent dans une certaine mesure.

En l’espèce, la société opposante se contente d’affirmer que la renommée de la marque antérieure entrainera « un risque certain que le public pertinent confonde ou, à tout le moins, associe la marque HERMES CONSULTING à la marque antérieure HERMES » ou que le « public pourrait être amené à penser, à tort que la maison Hermès diversifie son activité, ou encore qu’un partenariat a été conclu avec les déposants, ce qui n’est pas le cas ».

Or, ces arguments ne sont pas suffisants pour démontrer en quoi le public pertinent, lorsqu’il rencontrera la marque contestée appliquée aux services précités, effectuera un lien avec la marque antérieure. (…)

En conséquence, au vu des éléments fournis par la société opposante, il ne peut être reconnu d’atteinte à la renommée de la marque antérieure par la demande d’enregistrement contestée, et ce pour l’ensemble services contestés restant à comparer sur ce fondement ».

INPI, 1er juin 2022, n°20-3838