Droit d’auteur et intelligence artificielle
Les IA génératives de musique
24/04/2025Des chansons créées en quelques secondes par une IA, la voix des artistes utilisées sans leur accord, des bases de données musicales massivement exploitées : le droit d’auteur entre dans l’ère de l’intelligence artificielle.
I- Les œuvres utilisées par l’IA
Pour générer de la musique, une IA générative doit s’entraîner sur une importante base de données pouvant comprendre des millions de musiques.
Pour celles bénéficiant de la protection offerte par le droit d’auteur, se pose la question de l’éventuelle violation des droits d’auteur, des artistes-interprètes et des producteurs de phonogrammes.
La directive européenne du 17 avril 2019 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique a mis en place une exception au droit d’auteur en autorisant la fouille de texte et de données.
L’article L. 122-5-3 du Code de la propriété intellectuelle prévoit désormais que :
« Des copies ou reproductions numériques d'œuvres auxquelles il a été accédé de manière licite peuvent être réalisées sans autorisation des auteurs en vue de fouilles de textes et de données menées à bien aux seules fins de la recherche scientifique par les organismes de recherche, les bibliothèques accessibles au public, les musées, les services d'archives ou les institutions dépositaires du patrimoine cinématographique, audiovisuel ou sonore, ou pour leur compte et à leur demande par d'autres personnes, y compris dans le cadre d'un partenariat sans but lucratif avec des acteurs privés.
(…)
Sans préjudice des dispositions du II, des copies ou reproductions numériques d'œuvres auxquelles il a été accédé de manière licite peuvent être réalisées en vue de fouilles de textes et de données menées à bien par toute personne, quelle que soit la finalité de la fouille, sauf si l'auteur s'y est opposé de manière appropriée, notamment par des procédés lisibles par machine pour les contenus mis à la disposition du public en ligne »
Ainsi, il est désormais possible aux fournisseurs d’IA d’utiliser les données de tiers pour entrainer leurs modèles :
- A la condition d’y avoir accédé légalement ;
- Et que l’auteur ne s’y soit pas opposé.
La SACEM a exercé cette faculté d’opposition le 12 octobre 2023. Désormais, les opérations de fouille de données (ou data-mining) sont conditionnées à l’autorisation préalable de la SACEM ou des producteurs, auteurs, artistes-interprètes…
Par ailleurs, le règlement européen du 13 juin 2024 établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle, impose aux fournisseurs d’IA, à compter du 2 août 2025, de mettre à la disposition du public un « résumé suffisamment détaillé du contenu utilisé pour entraîner le modèle d’IA à usage général ».
II- La titularité des droits d’auteur
Le droit d’auteur protège les œuvres de l’esprit originales, c’est-à-dire les œuvres reflétant la personnalité de leur auteur. Une création d’une personne physique est donc nécessaire pour bénéficier de la protection offerte par le droit d’auteur.
Se pose donc la question de la titularité des droits d’auteur attachés aux musiques générées par une IA avec une intervention humaine inexistante ou minime.
Une proposition de loi n°1630 visant à encadrer l’intelligence artificielle par le droit d’auteur, déposée à l’Assemblée Nationale le 12 septembre 2023, prévoit notamment que :
« Lorsque l’œuvre est créée par une intelligence artificielle sans intervention humaine directe, les seuls titulaires des droits sont les auteurs ou ayants droit des œuvres qui ont permis de concevoir ladite œuvre artificielle ». En application de ce projet, les titulaires des droits d’auteur sur une musique générée par IA seraient les titulaires des droits sur les œuvres qui ont permis d’entrainer l’IA.
La Commission européenne a indiqué quant à elle, en 2023, que la « création d’œuvres d’art par l’IA ne mérite pas une intervention législative spécifique ». Il peut être déduit de cette position que les musiques générées par IA pourraient bénéficier de la protection offerte par le droit d’auteur…
III- L’utilisation de la voix d’un tiers
Plusieurs utilisations de la voix d’artistes, sans autorisation, par une IA, ont déjà fait couler beaucoup d’encre :
- Les voix de Drake et de The Weekend au sein de la chanson, générée par IA, Heart on My Sleeve ;
- La reprise de la chanson Saiyan, de Heuss l’enfoiré et Gazo, avec la voix d’Angèle.
Or, la voix est un élément de la personnalité protégé par le principe plus général du droit à la vie privée, sur le fondement de l’article 9 du Code civil.
Enregistrer, reproduire ou imiter la voix d’un tiers, sans autorisation, peut porter atteinte à la personnalité de celui-ci.
Le nouvel article 226-8 du Code pénal, modifié en 2024, punit désormais de deux ans d’emprisonnement et 45.000 € d’amende, le fait de porter à la connaissance du public par le biais d’un service de communication en ligne un contenu visuel ou sonore généré par un « traitement algorithmique représentant l’image ou les paroles d’une personne », sans son consentement et sans mention qu’il a été généré par une IA.
IV- La nécessaire évolution de l’encadrement législatif
La SACEM et la GEMA ont dévoilé les résultats d’une étude sur l’impact de l’intelligence artificielle dans la musique dans lesquels ils indiquent que le marché de l’IA générative en matière de musique atteindra plus de 3 milliards de dollars en 2028.
L’émergence de l’IA dans la création musicale conduira certainement à une refonte significative du droit d’auteur.
L'étude précitée révèle que 35 % des créateurs interrogés ont déjà utilisé l'IA dans leur travail, un chiffre qui atteint 51 % chez les moins de 35 ans.
Dans ces conditions, il faut apporter des réponses à la question de l’élargissement de la protection du droit d’auteur aux créations d’une IA, ainsi qu’à celle de la titularité des droits.
Il est envisagé la possibilité de créer une catégorie juridique distincte pour les œuvres générées par IA, l’ajout de mentions obligatoires et un mécanisme de rémunération collective.
Devra également être rapidement envisagée, comme cela est suggéré par l’OMPI, une harmonisation internationale.